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Nous avons jugé utile de rendre publique la correspondance suivante avec l'un de nos lecteurs. Elle indique, tout en éclaircissant nos positions, pourquoi nous ne transigeons jamais avec certains développements théoriques et politiques encore défendus aujourd'hui par une certaine gauche « radicale ». Elle offrira aussi d'autres réflexions pour ceux qui se préoccupent du renouvellement de la critique sociale et politique.

Lettre de N***R*** à Les amis de LHOOQ du 14 octobre 2004

J'ai découvert avec un grand intérêt le premier numéro de votre revue et je l'ai lu attentivement. On ne peut que souhaiter qu'elle trouve son lectorat et continue de longues années. Elle est d'un tout autre niveau que la presse de propagande qui encombre les rayons de librairies parisiennes fréquentées par les « radicaux ». Le texte intitulé Matériaux pour une reprise critique m'a particulièrement intéressé.

Je souhaiterais vous soumettre quelques questions qui me préoccupent actuellement et pourraient faire l'objet d'un débat entre nous, voire dans les colonnes d'un prochain numéro (bien qu'il soit peut-être présomptueux de ma part de m'immiscer ainsi dans votre travail collectif). Je suis conscient que ces questions ont un caractère très général et qu'elles appellent des réponses complexes, difficiles à résumer dans une simple lettre.

Dans une lettre prochaine, j'aborderai, si vous le permettez, la question du rapport entre communisme et démocratie. Pour l'heure, Je m'en tiendrai à cette seule question, ayant trait à la notion de classes et d'antagonisme. Vous écrivez quelque part -je n'ai pu retrouver la page-que l'État social keynésien est sur le point de disparaître, et, partant, le compromis de classe sur lequel était fondé sa légitimité et sa légalité. Or, il me semble que l'État social est beaucoup moins en crise que ne le prétendent ses critiques. L'intégration du prolétariat, c'est-à-dire sa neutralisation en tant que classe antagoniste, continue, selon moi, de fonctionner à peu près bien. L'État keynésien continue d'absorber les contradictions sociales et de surmonter les crises économiques, même si cela se réalise sous couvert de libéralisation. En d'autres termes, le compromis de classe institutionnalisé continue d'être opérationnel. Ou encore : la crise de légitimité de l'État, condition de toute crise, semble faire défaut, il n'est que de regarder l'empressement des « nouveaux mouvements sociaux » à faire appel à l'État, parfois de manière fantasmée, pour régler toutes formes de conflictualité, de discriminations à l'encontre de tel ou tel groupe social particulier.

J'en viens à ma question : de même que l'athéisme conséquent érige l'existence de Dieu en article de foi car Son existence ou Son inexistence est parfaitement indémontrable –  un Dieu caché est un Dieu inexistant, il faut penser et agir comme s'il n'existait pas  –, de même faut-il considérer que le prolétariat (Je m'abstiendrais d'écrire prolétariat avec une majuscule) n'existe pas ou plus, pour la seule raison qu'il a cessé d'être une force agissante dans l'histoire du monde capitaliste ? Et donc, penser et agir comme si –  pure hypothèse de travail­ le prolétariat sujet-antagoniste avait bel et bien disparu définitivement de la scène de l'histoire, totalement englué dans les rapports de domination ? Autrement dit, le prolétariat, dépossédé de toute subjectivité autonome par la production-consommation de masse, n'existe plus en tant que classe, mais uniquement en tant que foule, masse, populace, disponible à toutes les manipulations, ouverte à tous les trafics.

Je pense à cette réflexion de Debord dans l'I.S., selon laquelle, aujourd'hui, presque tout le monde est prolétaire car presque personne n'a la liberté de disposer de son emploi du temps. Cette seule réflexion suffirait à priver de sens la question initiale : s'il n'y a que des prolétaires, ou presque, il n'y a plus de prolétaires. Marx ne s'est pas trompé, au contraire : sa prédiction sur la prolétarisation croissante de la société s'est réalisée. Il n'y aurait plus une société divisée en classes, mais en quelques sorte une société-classe, totalement prolétarisé. Dès lors, l'affrontement principal n'aurait plus lieu entre classes antagoniques, mais entre la société humaine et l'État, un État qui ressemblerait de plus en plus à un Appareil, immense complexe économico-politico-militaro-technologique, ayant sa logique et ses intérêts propres, force transcendante, anonyme et inassignable. Ou encore, un combat entre une communauté humaine à venir, la communauté humaine matérielle, et une communauté toujours déjà effondrée, l'État. Cette recomposition des lieux d'affrontements serait déterminée par la transition d'un capitalisme concurrentiel dans lequel la cible est, finalement, bien identifiable : la bourgeoise propriétaire de l'appareil de production-circulation, à un capitalisme de monopoles, puis un capitalisme d'État dans lesquels l'économie est gouvernée par des trusts et cartels (aujourd'hui dénommés multinationales) où les individualités sont interchangeables et subalternes (ou superflues).

Doit-on considérer le prolétariat comme une réalité caduque, un sujet historique qui ne subsiste plus qu'à l'état de fiction métaphysique, et en venir à une philosophie de l'intersubjectivité (cf. Habermas) considérant l'histoire, le devenir comme produit de processus d'apprentissage intersubjectifs, comme résultat de modalités de subjectivation transversale ?

J'essaye de développer: à mon sens, l'histoire du prolétariat au siècle passé a été l'histoire de son intégration structurelle, via précisément l'État social keynésien, et ce malgré quelques épisodes où il semblait advenir à une conscience de soi, pour parler comme Hegel. De sorte que ce prolétariat, de sujet de l'histoire, chez Marx et Lukacs, est devenu l'objet de l'histoire. Bref, peut-on soutenir que cette intégration a atteint un point de non-retour, un degré-d'irréversibilité qui interdit tout résurgence, disons, d'un programmatisme ouvrier(iste) classique ? Certes, on pourrait considérer que cette question est de pur fait, qu'elle ne relève pas de la théorie et échappe à ses capacités de prévision pour relever de la pure contingence historique –  « seule l'avenir le dira ». Mais justement parce que la théorie doit, me semble-t-il, se risquer à la prospective, la question mérite, selon moi, d'être posée.

Voilà, je m'arrête là, bien qu'il serait nécessaire, j'en ai conscience, de mieux préciser ma pensée et d'ordonner des réflexions quelque peu disparates. Ceci pourra être l'objet, peut-être, d'une correspondance future.

En vous souhaitant bonne continuation, je vous adresse mes salutations fraternelles.

P.-S. : veuillez trouver ci-joint un chèque de 5,50 euros pour recevoir la revue.

Lettre de N***R*** à Les amis de LHOOQ

Bonjour,

Je souhaiterais réagir à l'article de Philippe Garonne, Matériaux pour une reprise critique de la politique…, sur un point, concernant la démocratie. Je ferai, pour cela, quatre remarques, largement reprises, je le reconnais humblement, des écrits du jeune Marx et inspirées de quelques commentaires de Bordiga et Camatte:

1°/ M. Garonne semble se déclarer partisan de la démocratie lorsqu'au §4, il écrit : « Seule la démocratie donne à l'ensemble des membres d'une société la possibilité d'un accès égal au pouvoir ». Puis il cite une phrase célèbre de Marx suivant laquelle la démocratie est « l'énigme résolue de toutes les constitutions ». Cette citation, décontextualisée, laisse entendre que Marx était…démocrate, qu'il défendait la démocratie comme la forme accomplie d'organisation sociale. Or, il n'en est rien.

Le regard porté par Marx sur la démocratie reposait sur des considérations de ce qu'on appellerait de nos jours realpolitik : la démocratie, parce qu'elle plaçait en lutte ouverte les deux classes fondamentales, permettait une clarification et une polarisation des antagonismes, et représentait ainsi le terrain politique le plus favorable à la lutte de classe.

Une telle disposition stratégique n'est plus valable aujourd'hui parce que la démocratie s'est imposée hégémoniquement comme la forme accomplie de domination réelle du capital sur la société. Elle n'est plus menacée et, par conséquent, elle n'a plus à être défendue contre l'éventuel retour d'un phénomène totalitaire. A présent, le combat pour la démocratie, pour son extension, sa radicalisation, en faveur de quoi se prononce M. Garonne lorsqu'il énonce, §6, que « la participation à une entité collective qu'il s'agit de reconstruire sur des bases démocratiques radicales est l'un des défis majeurs du temps », (cette entité collective, est-ce l'État national ?), ce combat, dis-je, n'est plus progressiste, mais anachronique et régressif, c'est-à-dire réactionnaire (pour employer un grand mot) - sauf peut-être dans les derniers bastions du « communisme » comme la Chine ou la Corée, mais pas en France et dans les États occidentaux. Déjà dans les années 1920, confrontée à la montée du fascisme, la gauche italienne, emmenée notamment par Bordiga, prévenait le mouvement ouvrier des ambiguïtés du slogan socialiste « la démocratie en danger ».

2°/ Chez Marx, la démocratie, toute démocratie, suppose une dualité, une division à l'intérieur de l'homme entre l'homme abstrait de l'État et l'homme réel de la société, ou encore une séparation de l'homme d'avec lui-même et d'avec les autres, c'est-à-dire d'avec sa communauté qui s'objective en force politique extérieure, du fait de la propriété et de la division du travail. La démocratie est une communauté illusoire, une communauté de la séparation parce qu'elle sanctionne politiquement, juridiquement et idéologiquement la séparation des hommes dans l'échange marchand où chaque individu, agissant pour soi, n'est pour l'autre qu'un représentant de marchandises. Marx n'écrit-il pas que l'État moderne, c'est-à-dire l'État démocratique, est la réalisation du christianisme ? Pour paraphraser Marx, encore, nous pourrions énoncer que la -- démocratie est l'esprit de la société, sa religion. Ce qui réfute l'affirmation de P. Garonne au §8 :« elle [la démocratie] est le lieu du pouvoir désacralisé, du rejet […] de toute transcendance ».

La question juive : « La chimère, le rêve, le postulat du christianisme : la souveraineté de l'homme, mais de l'homme comme être étranger, comme être différent de l'homme réel, tout cela est, dans la démocratie, réalité sensible, présence, maxime profane ».

Le dualisme individu/espèce, intérêt particulier/intérêt général, n'est surmonté que dans l'homme social posé immédiatement par la Gemeinwesen humaine. La démocratie est la dernière forme de l'État. Au-delà, il y a le communisme, la véritable Gemeinwesen.

3/ Dire, comme le fait P. Garonne, qu'une démocratie non pleinement effectuée n'est pas une démocratie (§7), c'est, à mon avis, retomber dans les méandres d'un socialisme démocratique qui conçoit le communisme comme la réalisation, l'effectuation de la démocratie, et non comme sa négation positive. On en revient aux critiques formulées dans 1°/ et 2°/.

4°/ Le démos de la démocratie est une fiction, une abstraction concrète, comme l'argent, un fétiche, ou encore une allégorie de l'homme réel. Camatte peut ainsi écrire, dans La mystification démocratique, que « la recherche de la démocratie idéale est tout aussi vaine que celle de la monnaie idéale ». Le concept de « peuple souverain » postule idéalement un monisme là où il n'y a que de la multitude et de l'hétérogène.

Evidemment, tout ce raisonnement présuppose un distinguo entre la démocratie, telle qu'elle s'est constituée historiquement à des périodes décisives de l'histoire politique (la Grèce du Ve siècle, les Républiques italiennes, la Révolution française) et le régime politique idéal formulé par la philosophie politique qui, lui, échappe comme par définition à toute critique historique.

Ma conclusion est la suivante : alors que l'idéologie, reflet du mal nécessaire, nous assène jour après jour ses rappels à l'ordre sur la démocratie, la liberté et les droits du citoyen, et réduit l'horizon politique à l'alternative démocratie/totalitarisme, il est important de se dresser contre la démocratie, contre l'homme et contre cette liberté libérale, ce « droit à la différence » qui forme le pivot du paradigme politico-juridique libérale-existentielle. Le droit à la liberté n'est rien d'autre que le « droit à être bête » (Camatte), car la liberté d'autrui est une limitation, et non la réalisation, de ma liberté. Cette liberté démocratique n'est que la consécration politique du droit de propriété (cf. La déclaration des droits de l'homme), de la grandeur que procure sa possession et de la misère qu'impose sa privation. A présent, la liberté ne s'entend plus guère que comme la plus extrême séparation. Si l'émancipation politique, i.e. la démocratie, est la dernière forme d'émancipation à l'intérieur de l'ordre mondial telle qu'il a existé jusqu'ici, elle n'est pas la forme ultime de l'émancipation humaine. Par-delà la démocratie règne la nature humaine matérialisée dans la Gemeinwesen.

Fraternellement, N***

Lettre de Les amis de LHOOQ à N***R***

Paris, le 9 décembre 2004

TOUT POUR LE PEUPLE,

RIEN PAR LE PEUPLE

Monsieur,

Comme vous l'avez noté dans votre première lettre, la revue La Guerre de la liberté opère un décalage original avec « la presse de propagande qui encombre les rayons des librairies parisiennes fréquentées par les radicaux ». Lecteur consciencieux, vous comprenez sans doute qu'une grande partie des articles de la revue vise à en finir avec un marxisme récité qui, sous prétexte de critiquer les formes politiques trompeuses du capitalisme, ne sait brandir que les étendards absolutistes de la « communauté humaine matérielle » et de « l'essence humaine » enfin retrouvée comme promesse d'une humanité émancipée… Que derrière ces appellations lourdement sulfatées (A.O.C. Bordiga et Camatte), brandies comme des gris-gris religieux et des narcotiques métaphysiques à l'attention des désespérés de la totalité perdue, se rejoue une vision du communisme qui, dans la plus parfaite égalité, assurera à tous de marcher droit, knout dans le cul si nécessaire, n'étonne heureusement plus grand monde aujourd'hui.

Vous semblez cependant ne point saisir notre attachement profond à cette critique des divers courants marxistes. Il est vrai que vous vous reconnaissez humblement inspiré par Bordiga et Camatte. Nous avons peut-être le tort de n'en faire aucunement des lectures de chevet. Nous n'avons pas les mêmes passions ; ni les mêmes goûts. Et de notre intérêt commun pour Marx, nous n'en tirons certainement pas les mêmes réflexions. Conséquents ou non, nous revendiquons notre athéisme et abhorrons tout corps de doctrine qui tend à se substituer aux misérables et exécrables religions. Comme Marx, nous sommes au moins assurés d'une chose : de n'être pas marxistes. Nous connaissons enfin suffisamment l'histoire du siècle écoulé pour ne pas avoir la moindre envie de rire avec les principes d'acier de personnes qui bavent en gourous sur la grandeur sanglante du léninisme et autres avatars blanquistes… Ceci dit pour que vous ne vous mépreniez pas. Vous désirez quelques éclaircissements  ; nous vous les présentons.

Les citations de Marx sur la démocratie ne sont pas décontextualisées comme vous pouvez l'écrire. Nous laissons ces pratiques aux marxistes eux-mêmes, spécialistes du genre depuis plus d'un siècle. Vous les trouverez tirées d'un texte de 1843 (Critique du droit politique hégélien) dont le but même est de défendre la démocratie contre la vision hégélienne de l'État et de la bureaucratie. Très tôt Marx démontre l'incompatibilité entre une vie démocratique réelle et l'existence de l'État. Cette critique est en outre placée sous l'influence de Spinoza qui, deux siècles auparavant, déclarait que la démocratie apparaissait comme la moins imparfaite « de toutes les formes de gouvernement, la plus naturelle, et la plus susceptible de respecter la liberté individuelle ». À vos oreilles, cela doit sans doute sonner un peu trop Churchill, humaniste bourgeois, voire réactionnaire… Nous maintenons au contraire que cela demeure redoutablement moderne ; et pas seulement contre tous les défenseurs de la domination actuelle, mais également vis-à-vis de tous les tenants du communautarisme et autres assoiffés d'une transparence totale des rapports sociaux, de la fusion achevée[1Pour notre part, nous ne connaissons qu'un état qui la réalise pleinement : la mort.] et de la reconquête, par on ne sait quelle voltige hégélienne, de l'unité perdue (la pomme est croquée, et c'est heureux… Foutre de la plénitude divine et du soi-disant bonheur primitif).

Le combat démocratique chez Marx n'est pas non plus le résultat d'un choix tactique, une finesse de realpolitik comme vous dites (la ficelle serait un peu grosse) : l'homme en question s'appelle Karl, pas Vladimir Illitch, ni Amadeo, encore moins Jacques… Chez lui, démocratie et communisme désignent les deux étapes d'un même mouvement, révolution politique et révolution sociale, l'une n'allant pas sans l'autre. Inutile de préciser que nous tenons ce point pour acquis. Cela engage bien entendu à critiquer les limites de la démocratie représentative ou bourgeoise sans tomber pour autant dans un maximalisme gauchiste ou stalinien. Nous ne sommes pas de ceux qui rougissent de honte en affirmant que, pour le moment, nous préférons encore vivre en France plutôt qu'en Chine, en Russie ou en Birmanie… La Première Internationale n'est pas née sous le Paris du Second Empire, ni sous la Vienne Habsbourgeoise, et Marx n'a pas écrit Le Capital à Moscou mais dans le pays qui, au XIXe siècle, malgré toute la misère existante, permettait encore, via ces libertés formelles que les pseudos radicaux se plaisent tant à dénigrer, d'accueillir tous les exilés politiques du temps… Cela nous engage donc aussi à combattre tous ceux qui estiment que le combat social et la lutte des classes se suffisent pleinement à eux-mêmes, autant du point de vue théorique que pratique. Si aucune révolution digne de ce nom ne fera l'économie d'un profond bouleversement social et économique, elle sera aussi, pour le meilleur et pour le pire, confrontée à l'éternelle question du pouvoir, de son occupation, de sa distribution et de son partage…

Que Marx ait toujours mené de front lutte démocratique et sociale ainsi que critique théorique, c'est ce que démontrent également ses engagements militants et ses divers écrits historiques. Mais sans doute considérez-vous comme simplement tactique, avant que ne se réalise la grande Gemeinwesen (Hosanna ! Hosanna !), son soutien apporté aux chartistes anglais dans les années 1850 ; l'acceptation en 1847, alors qu'il est également membre de la Ligue des communistes, du poste de vice-président de l'Association démocratique basée à Bruxelles ; ses critiques sans concessions de l'État bonapartiste du Second Empire et de la Prusse ; sa haine absolue du Tsarisme et son soutien au Nord contre le Sud esclavagiste lors de la guerre civile aux États-Unis ; son rejet net et clair du socialisme d'État voulu par Lassalle ; sa défense, au sein de l'Internationale, des modalités de délibérations et de décisions démocratiques contre toute tentative de main mise directe, type sociétés secrètes ou clans blanquistes ; ses centaines d'articles politiques qui laissent encore aujourd'hui orphelins les marxistes élevés au seul lait frelaté de l'économisme ; sa déclaration de défense de la Commune, enfin, dans l'Adresse du conseil général de l'AIT sur la guerre civile en France, où, à l'opposé de toute forme politique d'État, il louait l'œuvre des insurgés parisiens qui s'étaient donné « le self-government des producteurs », gouvernement élu au suffrage universel, responsable et révocable à tout moment, « forme politique enfin découverte pour réaliser l'émancipation économique du travail » Qu'un Bordiga, pour sa part, ait toujours voulu voir en Marx et Engels des anti-démocrates convaincus et qu'il ait, de surcroît, systématiquement ignoré qu'une grande partie des soulèvements populaires et ouvriers du XXe siècle prenait, depuis 1905, la forme spontanée de collectifs démocratiques (soviets, conseils…) ne regarde finalement que sa logique imperturbable d'ingénieur social et de léniniste endurci…[2Encore que Lénine, bien plus au fait des manœuvres politiciennes (en vrai maître quant à lui des saloperies tactiques), ait été obligé pour sa part de reconnaître dans les premiers moments de la révolution russe l'existence des soviets, existence qui ne devait évidemment rien aux Bolcheviks, mais qu'il fallait bien défendre pour ne pas perdre l'initiative. Les soviets étaient bien le démenti en actes de toute sa théorie organisationnelle et politique. Cela ne l'empêchera pas de faire les revirements que l'on sait… Les borgnes sont-ils encore nombreux à accorder du crédit à un homme qui déclarait ainsi en 1918, loin des « petits états d'âmes bourgeois », qu'il n'existe « absolument aucune contradiction de principe entre la démocratie soviétique (socialiste) et le recours au pouvoir dictatorial personnel » ? Régler ainsi, dans la pratique comme dans la théorie, la contradiction à coup de machette, voilà bien ce que nous exécrons par-dessus tout chez les gens dont vous vous réclamez.]

Nous ne lisons pas pour autant Marx comme on boirait les paroles d'un dieu ou d'un prophète. Son œuvre critique, traitée aujourd'hui en chienne crevée après avoir été systématiquement falsifiée, n'est pas à reprendre à la loupe d'une théologie rénovée. La première démarche pour y revenir est de balancer tout le fatras poussiéreux des écrits marxistes (léninistes et staliniens en tête), qui l'étouffent depuis plus d'un siècle. Ses combats, son œuvre, sont aussi le produit de son temps. Cela explique en partie ses ambiguïtés, ses lacunes, ses erreurs ; cela explique aussi que nous prenions chez lui ce qui reste irréductiblement vivant et scandaleux.

Les contradictions de la question politique chez Marx ne proviennent donc pas de son positionnement politique même. C'est plutôt la logique développée, d'une part, dans son œuvre économique, là où, tout en ayant critiqué Hegel dans sa jeunesse, il conserve in fine sa philosophie de l'histoire, et par la même sa finalité téléologique, (le communisme, en substitut de l'État hégélien, devenant ici le lieu d'une réconciliation finale), et, d'autre part, celui d'un auteur corrigeant incessamment à l'épreuve du déroulement historique ses positions critiques. Qu'il ait pu partager à maints endroits l'idéal du mouvement ouvrier et des utopistes d'un paradis terrestre à conquérir, paradis où tout problème, toute tension, trouveraient leur résolution et leur application exactes sans plus qu'aucune médiation politique ne soit nécessaire, c'est également une ambiguïté qui entre en contradiction avec son mépris affiché de toute forme d'apolitisme, contradiction que nous pointons dans l'article incriminé… Mais il n'était sans doute pas dupe lui-même de ces attentes eschatologiques, lui qui, sur des milliers et des milliers de pages, n'en a pas écrit plus de dix sur ce que pourrait être concrètement une société communiste et qui, enfin, dans Le Capital, loin de son enthousiasme de jeunesse pour la détermination de la véritable essence humaine, ne parlait plus d'une société émancipée où l'homme, à sa guise, ferait chaque jour deux heures de philosophie, trois de pêche, une de musique… mais indiquait, plus « trivialement », que le socialisme avait désormais pour objectif, sur le terrain économique, de réduire au maximum le temps nécessaire à l'accomplissement des contraintes productives.

Vos critiques de la démocratie ne sont en réalité pas très nouvelles. On les retrouve partagées par un ensemble de « radicaux » (de l'anarchiste de base au marxiste blindé) pour qui le langage de l'État semblerait désigner exactement la réalité politique et sociale qu'il entend dominer. Ainsi, chez vous, dans une confusion permanente, État et démocratie se rejoignent, le premier étant irréductiblement propriétaire de la seconde. Or ces critiques s'effondrent dès lors que l'on prend en compte deux réalités généralement ignorées :

1) Que les régimes occidentaux dits « démocratiques » fonctionnent en réalité comme des systèmes oligarchiques. Derrière le rideau des scènes spectaculaires, un ensemble de pouvoirs, légaux ou illégaux, étatiques ou extra étatiques, (partis, clans bureaucratiques et militaires, lobby économiques, maffias diverses…), au gré désastreux de leurs intérêts propres, de leurs alliances et de leurs ruptures, décident seuls du sort de cette pauvre planète. Qu'il faille pour l'État et les politiciens réveiller constamment une forme de légitimité perdue (d'où leurs appels incessants à la vertu citoyenne) tout en renforçant les structures bureaucratiques qui les nourrissent, c'est une contradiction qui appartient en propre aux pouvoirs modernes. Cette contradiction, au contraire absolu de ce que vous affirmez, n'est pas la réalisation « achevée » de la démocratie, mais dévoile l'absence même de toute vie démocratique réelle[3Réelle et non pas idéale comme le chante ce pauvre Camatte. Nous lui laissons bien volontiers, comme aux autres curés, ce genre d'idéal. Que ne voit-il qu'on pourrait tout aussi bien remplacer, dans la phrase que vous citez, les termes de démocratie par Gemeinwesen et aboutir à la même stérilité d'analyse.]. Toute démocratie digne de ce nom est contre l'État ; et ce dernier, à l'opposé de certains radicaux et des réformistes, ne l'ignore pas[4En ce sens, votre question sur « l'État national » nous semble complètement absurde. Pensez-vous sincèrement que là puisse être notre préoccupation ou êtes-vous si naïf ?].

2) L'État moderne constituerait l'horizon indépassable de toute vie politique. Ainsi, d'un côté, le néo-réformisme de gauche, sous les coups de boutoirs financiers du capitalisme mondial et la perte de légitimité de toute la classe politicienne, cherche-t-il à lui redonner sa prétendue stature d'antan, sa jolie robe keynésienne, celle d'une force paternaliste au service bienveillant de la société civile contre les agressions du marché. De l'autre, un radicalisme éreinté, toujours pas dégrisé de ses espoirs eschatologiques, n'apercevant dans le processus de démocratisation de la société amorcée depuis la Révolution Française qu'un leurre à couillons, le système de gestion politique le mieux adapté du capitalisme inévitablement destiné à périr avec lui. La suite, très à la mode, on vous laisse la scander : Communauté ! Communauté ! Et qu'importe le contenu… Les miracles radicaux feront le reste.

Que l'instauration d'une vie démocratique soit l'un des buts centraux de toute révolution, qu'elle doive par conséquent détruire tout pouvoir d'État, c'est là encore une remarque que faisait Marx (vous savez, cet anti-démocrate convaincu) après La Commune. Nous sommes donc loin de « l'alternative démocratie/totalitarisme » que vous pointez comme réduction idéologique de tout l'horizon politique contemporain. Si cette réduction existe bel et bien –  mais là encore, à l'instar du terrorisme et du catastrophisme, comme instruments d'une peur à entretenir pour que continue le devenir-oligarchique du pouvoir  –, nous n'en tirons pas la conclusion absurde que la démocratie ne serait qu'un élément constitutif du capitalisme bon à jeter après disparition de ce dernier. La démocratie a existé avant le capitalisme. La redécouverte de la première ainsi que l'invention historique de nouvelles formes à lui donner passe dialectiquement par le dépassement du second. Vous comprendrez alors que les préventions de Bordiga à l'égard des ambiguïtés de la défense socialiste des démocraties libérales dans les années 20, c'est-à-dire à une époque où cette même alternative n'avait rien d'une farce montée par une bourgeoisie aux abois pour défendre jusqu'à la mort le système capitaliste, nous apparaît, recul et connaissances historiques aidant, comme totalement répugnantes. Penchez-vous un peu plus sur la naissance du fascisme et du nazisme, étudiez surtout la tactique stalinienne à leurs égards et à ceux que le Kominterm, sans nuances, appelait les « sociaux-fascistes », vous en viendrez peut-être comme nous un jour à vous boucher le nez[5Nous n'ignorons pas qu'à la suite de la répression de la révolution allemande par les sociaux-démocrates, les socialistes traînaient légitimement une réputation de traîtres sanglants. Cela n'empêche pas que sur les questions relatives à la montée du stalinisme, du fascisme et du nazisme, ils se soient, en règle générale, montré bien plus lucides que leurs frères ennemis. Rien d'étonnant à cela : si une chose rapproche plus que toute autre staliniens, nazis et fascistes, c'est leur haine commune pour « la pourriture décadente des démocraties capitalistes » (rhétorique type des années 30 que l'on retrouve indifféremment dans la propagande des trois régimes).].

Nous maintenons également l'idée que la démocratie est bien le lieu d'un pouvoir désacralisé, une organisation tenue de rejeter l'idée de transcendance sous peine de disparaître ou de se transformer en un régime étranger à sa nature. Non que le principe de base sur lequel elle fonde sa légitimité (le pouvoir du peuple par le peuple) ne puisse pas à son tour se transformer en un principe divin, intangible[6Votre lumineuse remarque sur le fait que le peuple n'est pas une réalité homogène, excepté dans l'abstraction, nous a profondément troublé. Ignorants du fait jusqu'à présent, nous voilà abasourdis ! Si la chose se révélait exacte, il en serait de même alors pour le prolétariat, les paysans, le petit et grand bourgeois ? On se réchauffe toutefois à l'idée que dans l'ère proche de la Gemeinwesen, la diversité sociale et la pluralité d'opinion seront des notions aussi incompréhensibles que la liberté pour un Camatte.]. Cette dérive est toutefois observable historiquement dès que les représentants d'une démocratie entendent vivre sur le pays ad vitam æternam… Le pouvoir du peuple est alors inscrit dans le marbre d'une vérité intouchable pour justement désigner une situation politique qui ne correspond déjà plus à une réalité démocratique. Politiquement, le fondement de la légitimité démocratique ne relève pas d'une vérité supérieure, d'ordre métaphysique ou divine. Il n'est nulle part inscrit que la tyrannie, la monarchie, un régime oligarchique ou totalitaire, correspondent mieux à l'essence du politique que la démocratie, et vice-versa… La démocratie naît et s'invente par la volonté populaire d'investir l'espace public pour naître à la vie politique et historique, jusqu'alors privilège unique des maîtres. Elle n'a pas à justifier l'ordre nouveau qu'elle entend instaurer comme étant l'expression d'une volonté supérieure, à la manière du monarque d'Ancien Régime se proclamant lieutenant de Dieu sur terre… Cela se vérifie d'autant plus que les rares périodes d'émergence démocratique en Occident correspondent conjointement à des moments forts de « sécularisation ». Les Athéniens le savaient mieux que quiconque, eux qui, par un double mouvement de pratique historique (l'invention démocratique) et d'élaboration de savoirs nouveaux (naissance de la connaissance historique et de la philosophie), laissèrent Dieux et mythes à l'écart de toute responsabilité dans la naissance de ces trésors nouveaux. Comme déjà indiqué dans l'article, la démocratie ne trouve sa légitimité qu'en elle-même, légitimité qu'un Marx, après les Grecs, ne qualifiait pas seulement comme un produit de l'homme, mais comme un « libre produit de l'homme ». Pour qui considère la liberté façon Camatte ou Lénine, il faut avouer que ce Marx là prend les accents insupportables de l'humaniste petit-bourgeois…

La critique que vous soulevez à propos d'une note de l'article « De la poudre et des armes » dans votre premier courrier relève des mêmes confusions et contresens idéologiques que ceux déjà indiqués plus haut sur votre conception de la démocratie. Si, selon vous, la crise de « légitimité de l'État, condition de toute crise, semble faire défaut », comment expliquer alors l'émergence de mouvements et de forces politiques immédiatement prêts à lui rendre sa belle allure keynésienne ? Personne n'ignore évidemment que l'on ne se trouve pas ici en présence de groupes déterminés à remettre en cause l'existence même de l'État. Reste que ceux qui partagent les buts des altermondialistes savent pertinemment qu'une période de vache grasse s'achève (en réalité depuis la fin des années 60). Autrement dit, ceux qui, d'une manière directe ou indirecte, ont pu profiter des mannes du compromis keynésien ne reconnaissent plus aujourd'hui Papa. Et que vous le vouliez ou non, c'est déjà le symptôme d'une crise de la représentation que l'on se fait du rôle de l'État. En face, totalement décomplexée et agressive, agissant autant pour des raisons idéologiques que par nécessités économiques, existe désormais parmi, la domination, une nouvelle élite politicienne (Sarkozy en version française) prête à en finir définitivement avec cet épisode du capitalisme. Le fait que ces mouvements prennent des formes de contestations dépassées, illusoires quant aux buts recherchés, repose sur une contradiction interne propre à l'illusion politique qu'ils défendent, mais ne constitue en rien le démenti que l'État keynésien ainsi que le compromis social et l'intégration qui l'accompagnaient soient aujourd'hui en phase de pleine implosion.

Vos remarques sur le prolétariat, enfin, transpirent à grosses gouttes l'espérance déçue. Nous n'avons jamais pour notre part confondu la réalité de son existence (le capitalisme n'existe pas sans prolétariat), et la part démiurgique qu'à la fin du siècle dernier, les socialistes, à travers l'invention du « sujet historique », ont bien voulu lui faire porter. Quelles que soient les raisons sociologiques ou pseudo philosophiques qui tentent désespérément d'expliquer son inaction quant au grand soir annoncé, nous pensons plutôt, comme Marx, que le prolétariat est en lutte ou qu'il n'est rien, ceci étant vrai aussi pour la classe moyenne, pour certains groupes sociaux comme la jeunesse, à plus forte raison encore pour tout individu. Si le prolétariat doit s'émanciper, c'est très objectivement parce qu'il a, parmi toutes les autres classes de la société, les plus forts intérêts à le faire ; et l'on est déjà soulagé de savoir aujourd'hui, après tant d'horreurs commises, que le Parti ne le fera plus à sa place ? Qu'à maintes époques, esclaves, pauvres, paysans, prolétaires et autres damnés n'aient pas su, également pour des raisons multiples, reconnaître ces intérêts, ne préjuge par ailleurs en rien de la suite. Les révolutions passées montrent aussi que ces moments ne sont jamais des états de pure éternité comme le désirent illusoirement les diverses formes de domination.

Voilà pour l'essentiel. Vous comprendrez facilement que nos points de vue divergent considérablement. Vous en êtes encore humblement à vous interroger s'il n'y aurait pas quelque chose à sauver dans le crédo marxisto-lénino-bordiguiste ; nous avons le regret de vous faire part du décès de cette pauvre doctrine qui n'a, à vrai dire, jamais beaucoup vécu. Quant à vos interrogations faussement naîves sur l'éventuelle ligne réactionnaire de nos principes, nous nous en remettront à ces quelques lignes de Karl Korsch, parfait résumé de tout ce qui précède :

« Toutes les tentatives pour rétablir la doctrine marxiste comme un tout et dans sa fonction originelle de théorie de la révolution sociale de la classe ouvrière sont aujourd'hui des utopies réactionnaires. Toutefois, pour le bien comme pour le mal, des éléments fondamentaux de l'enseignement marxien conservent leur efficacité après avoir changé de fonction et de théâtre. »

Dix thèses sur le marxisme aujourd'hui

Les membres de La Guerre de la liberté

[1]Pour notre part, nous ne connaissons qu'un état qui la réalise pleinement : la mort.

[2]Encore que Lénine, bien plus au fait des manœuvres politiciennes (en vrai maître quant à lui des saloperies tactiques), ait été obligé pour sa part de reconnaître dans les premiers moments de la révolution russe l'existence des soviets, existence qui ne devait évidemment rien aux Bolcheviks, mais qu'il fallait bien défendre pour ne pas perdre l'initiative. Les soviets étaient bien le démenti en actes de toute sa théorie organisationnelle et politique. Cela ne l'empêchera pas de faire les revirements que l'on sait… Les borgnes sont-ils encore nombreux à accorder du crédit à un homme qui déclarait ainsi en 1918, loin des « petits états d'âmes bourgeois », qu'il n'existe « absolument aucune contradiction de principe entre la démocratie soviétique (socialiste) et le recours au pouvoir dictatorial personnel » ? Régler ainsi, dans la pratique comme dans la théorie, la contradiction à coup de machette, voilà bien ce que nous exécrons par-dessus tout chez les gens dont vous vous réclamez.

[3]Réelle et non pas idéale comme le chante ce pauvre Camatte. Nous lui laissons bien volontiers, comme aux autres curés, ce genre d'idéal. Que ne voit-il qu'on pourrait tout aussi bien remplacer, dans la phrase que vous citez, les termes de démocratie par Gemeinwesen et aboutir à la même stérilité d'analyse.

[4]En ce sens, votre question sur « l'État national » nous semble complètement absurde. Pensez-vous sincèrement que là puisse être notre préoccupation ou êtes-vous si naïf ?

[5]Nous n'ignorons pas qu'à la suite de la répression de la révolution allemande par les sociaux-démocrates, les socialistes traînaient légitimement une réputation de traîtres sanglants. Cela n'empêche pas que sur les questions relatives à la montée du stalinisme, du fascisme et du nazisme, ils se soient, en règle générale, montré bien plus lucides que leurs frères ennemis. Rien d'étonnant à cela : si une chose rapproche plus que toute autre staliniens, nazis et fascistes, c'est leur haine commune pour « la pourriture décadente des démocraties capitalistes » (rhétorique type des années 30 que l'on retrouve indifféremment dans la propagande des trois régimes).

[6]Votre lumineuse remarque sur le fait que le peuple n'est pas une réalité homogène, excepté dans l'abstraction, nous a profondément troublé. Ignorants du fait jusqu'à présent, nous voilà abasourdis ! Si la chose se révélait exacte, il en serait de même alors pour le prolétariat, les paysans, le petit et grand bourgeois ? On se réchauffe toutefois à l'idée que dans l'ère proche de la Gemeinwesen, la diversité sociale et la pluralité d'opinion seront des notions aussi incompréhensibles que la liberté pour un Camatte.