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Pauvres cellules ! On veut vous traiter comme des hommes !

Lettre à Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo

« La critique de la religion aboutit donc à l'impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable, qu'on ne peut mieux dépeindre qu'en leur appliquant la boutade d'un Français à l'occasion de l'établissement projeté d'une taxe sur les chiens "Pauvres chiens ! On veut vous traiter comme des hommes ! " ».

Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel

Messieurs,

Dans le premier numéro de notre revue nous avons placé des extraits de vos travaux en regard de la déclaration triomphale des chefs d'État sur le séquençage du génome humain d'avril 2003.

La critique que vous portez dans le champ clos de la théorie cellulaire nous a vivement intéressée. Cette théorie dominante, qui nous en rappelle d'autres, veut bien se reconnaître quelques défauts marginaux (des régulateurs qu'il reste à découvrir à moins qu'il ne s'agisse des régulateurs de ces régulateurs) mais ne remettra pas en question la notion centrale de programme. Le génome n'ayant pas ébloui son époque, on soupire désormais après le transcriptome et le protéome. Il ne manquerait plus que des manipulations pour trouver le fil d'Ariane qui conduit les ordres du « livre d'instruction de la vie » au monde bassement phénoménal des organismes, maladies, émotions et autres productions subalternes.

Vos analyses qui nous présentent clairement[1Nous n'avons pas été surpris d'apprendre que ce fut pour vous un plaisir d'écrire ces travaux (en dehors du cadre officiel des communications scientifiques, en français, etc.)] les processus darwiniens à l'œuvre aux niveaux infimes de la vie ne font pas l'économie de la grandeur de la vie et, c'est là ce qui nous paraît le plus important : la réalité désespère toutes les déterminations magiques, résiste aux réductions que le dogmatisme veut lui faire subir et roule son flot complexe et majestueux.

Votre démonstration restitue à la nature la variété et le détaillement vivant qu'instinctivement nous lui prêtons, nous qui sommes, comme vous, attentifs à lui conserver sa liberté et pareillement la nôtre.

Nous sommes venus à nous intéresser à ces débats entre savants, en amateurs : c'est-à-dire en suivant la pente de ce que nous aimions et nous avons aussitôt été tentés de rapprocher vos travaux de ceux que nous connaissons et que nous poursuivons et qui sont toujours, dans un premier temps, un effort pour se défaire de l'emprise d'une idéologie. Il s'agit chaque fois de préjugés issus de l'idéologie marchande qui domine notre temps.

Avant tout, nous sommes attirés par la liberté – et donc également par la liberté cellulaire que vous exposez – nous en avons besoin, nous en faisons usage. Nous ne sommes retenus par aucun dogme, aucune organisation, aucun intérêt à servir.

Nos présupposés sembleront peut-être manquer de nuances en comparaison des prudentes hypothèses de la science (comme on les imagine). Nous affirmons sans détours que la réalisation de la liberté pratique est suspendue au retour de l'invention démocratique avec la violence que cela suppose. C'est pourquoi, lorsqu'on envisage les rapports de la science avec son époque, il nous semble illusoire d'attendre de commissions ou conférences l'émergence d'une capacité dans la société qui soit à même de traiter des problèmes que la science lui soumet. Cette force qui, pour ainsi dire, soit à la hauteur de ces gigantesques questions, ne peut être que la société elle-même ayant accédée à l'existence politique[2Hélas, on a les modes de production qu'on mérite : pour juger de ce qu'il faut laisser en place, dériver ou renverser, développer ou diminuer, il faut d'abord inventer une société qui en décide. Les directions à donner à la société doivent lui revenir et pas seulement des « choix scientifiques » soumis de loin en loin au débat étique de quelques experts devant un parterre de spectateurs (pauvres gens offerts en pâture à de grossières manipulations en pleine société, parfois intitulées : « essais de démocratie participative »). Le point de départ de la démocratisation c'est la liberté pratique : la possibilité ouverte pour chaque individu de réaliser complètement l'expérience d'une existence sociale et politique. Sans cette condition, il ne peut exister de citoyens, sinon en carton.]. Comme nous pouvons, nous voulons aider à cette invasion de l'histoire dans notre temps, certes passif et immobile d'aspect mais qui, selon nous, en appelle aussi de toutes parts de cette fécondation.

Il y a une façon d'entrer en relation avec les cellules qui fait craindre qu'elles soient aussi mal traitées que les hommes. Voilà en résumé comment nous envisageons la question biologique actuelle[3C'est donc le point de vue de l'histoire que nous privilégions. C'est aussi la science que nous trouvons la plus disposée à sortir de sa discipline pour se rendre accessible à ceux qui veulent en faire usage et qui, finalement, se saisiront de leur temps et feront l'histoire qu'ils connaîtront.].

Pour l'heure, nous voyons avec plaisir la science moderne s'en prendre de nouveau aux téléologies, vieux abris idéalistes de la domination incessamment replâtrés et rebâtis, et les réfuter[4Démonstration faite de la nature religieuse (ou prédarwinienne) de cette pensée, on discerne mieux tout l'attirail sacré dont on avait déjà senti la mauvaise odeur : la hiérarchie impeccable de la transmission des ordres génétiques, l'allure hiéroglyphique de la Parole de l'ADN, la genèse toute biblique de la vie bien que « tout ne soit pas écrit »…]. L'ADN n'est pas ce grand fabricateur mais un potentialisateur (Kupiec), le cerveau n'est pas un ordinateur mais un corrélateur (Edelman). Et nous reprenons pied sur la terre fertile de la sélection et de la variabilité, de l'adaptation et de la diversité, de la liberté en actes.

Toutefois, la science ne nous présente pas tous les jours un si plaisant visage. Le xxe siècle a terni son prestige et l'annonce de ses découvertes n'est plus accueillie par de béates admirations. Régulièrement, il lui est demandé de rendre des comptes sur les promesses de progrès qu'elle a si complaisamment alimentées et elle ne peut plus s'en tenir à ses spécialisations d'ivoire. La science est amenée à associer sa puissance à la sagesse publique : elle fait mine. Car elle n'échappe pas en fait au principe de séparation à l'œuvre dans la société marchande et qui la dévore. Depuis une année on s'intéresse publiquement à « sauver la recherche », ce qui aurait pu signifier : se sauver autant que possible de la dictature marchande qui s'exerce sur la science, s'oublier un peu (son champ, sa paillasse) pour s'ouvrir à la société et favoriser ses tendances émancipatrices. Le rapprochement entre science et société, que certains chercheurs appellent de leurs vœux, consiste en fait à édifier un public jugé inculte ou apathique[5Ainsi, dans un bref article intitulé : « Pour des chercheurs citoyens » (revue Pour la science, décembre 2004) Isabelle Sommier et Georges Debrégeas relatant les « États généraux de la recherche », suggèrent « d'ancrer plus profondément la science dans la société ». Mais c'est plutôt l'inverse qu'il faut comprendre, car ils précisent : « Une telle fertilisation croisée entre recherche et société exige une élévation de la culture scientifique de notre pays. Il ne s'agit pas uniquement de diffuser davantage les résultats de la science, mais aussi de former à la méthode scientifique, fondée sur le doute et la démarche critique. » Nous sommes d'avis qu'il faut rechercher le contraire, c'est-à-dire ramener la critique dans la science. La science véritablement « ancrée dans la société » (qui constitue son vivifiant milieu naturel) pourrait alors prendre part aux constructions sociales qu'il est urgent d'entreprendre. En effet, la culture scientifique revivifiée aurait vraisemblablement beaucoup à apporter à l'élaboration des points de vue unitaires sur le monde comme à la réinvention du rapport interindividuel direct. Les scientifiques, plus ou moins consciemment, ont tendance à considérer, qu'ils forment un modèle pour la société (comme les philosophes chez Platon), une belle et grande communauté « fraternelle » au dessus du commun où chacun vise librement des objectifs rationnels. Mais il est facile de voir que cet idéal ne se réalise que dans la forme extrêmement séparée et malheureuse de la communauté scientifique internationale. Et pourtant, collaborer à l'auto-institution d'un rapport social réellement humain constitue un but exaltant qui rivalise aisément avec les plus belles perspectives scientifiques. C'est, en tous cas, l'endroit le plus approprié où faire l'exercice de ses capacités rationnelles et créatives les meilleures. S'engager immédiatement dans cette voie revient à prendre nos deux chercheurs citoyens au pied de la lettre, car c'est la meilleure façon « d'articuler la science dans la société pour qu'elle ne figure plus sur un piédestal la faisant apparaître comme la source d'un progrès continu et indiscutable ou, à l'inverse, comme celle de tous les maux. »]. Par certains côtés, la lutte contre les dits « organismes génétiquement modifiés » a réalisé ce rapprochement, en menant de front la critique de la science colonisée par la marchandise et la critique de la politique séparée de son environnement social et historique.

À propos d'OGM, beaucoup de la biologie a été mobilisée. Pour notre part, si nous n'agitons pas l'épouvantail de la nocivité essentielle, absolue, de la transgénèse (une autre façon de sanctifier le génome), nous avons cependant une idée précise des raisons d'être des OGM dans lesquelles nous trouvons la plus grande part de leur toxicité.

Ainsi, nous sommes étonnés que ces fameux organismes soit épargnés par la réfutation du dogme de l'ADN que vous avez menée, dogme sur lequel les OGM sont construits : les cellules réduites à leur noyau, lui-même ramené à un assemblage de gènes chacun en charge d'une fonction et amélioré par l'insertion d'une fonction manquante. Il est clair pour nous que ces variétés végétales ont été sélectionnées pour leur adaptation aux conditions nouvelles du système marchand dans le secteur agricole, en quoi elles ne se distinguent guère des variétés précédentes qui ont été sélectionnées sur le même critère (les variétés « hybrides » F1). En effet, les actuels organismes génétiquement bidouillés poursuivent l'œuvre des marchands de grain qui, comme tous les gens de cette espèce, capturent sur leurs comptes bancaires les fruits de la nature et du travail des hommes. À entendre ces marchands, on croirait que la nature les attendait pour se modifier génétiquement. Ce sont les grands hybridateurs du vivant, ils ont réinventé la fécondité. Fort heureusement, les hommes et les autres organismes se modifient sans eux et malgré eux. Car les efforts marchands portent, bien au contraire, sur la propriété qu'ont les plantes de se reproduire sans payer de taxes. Par leur faute, le grain porté par les plantes marchandisées est devenu stérile[6Ces soi-disant variétés sont des génotypes identiques, ces prétendus hybrides sont en fait des clones destructeurs de la biodiversité, en quoi réside l'intérêt de les cultiver. (Jean-Pierre Berlan, Richard Lewontin : OGM ou CGB ? « Le Monde », 18 juin 2004)]. Quant à l'amélioration des plantes elle est à mettre principalement au compte du travail de sélection des agriculteurs[7Que les marchands extorquent l'invention et l'intelligence collective qui a produit des plantes meilleures n'étonne pas : c'est leur boulot. Mais ces pauvres plantes, soumises à l'implacable logique de la valeur d'échange, nous montrent les progrès de la marchandise. Car aujourd'hui, les organismes génétiquement marqués au fer du marchand (faut-il saluer la prouesse de ce tatouage en filaments d'ADN ?), ces OG™ donc, accroissent l'assujettissement des hommes et de leurs environnements. Les dits OGM les saturent de pesticides, leur font payer ce qu'on n'avait jusque là jamais cru devoir payer et remettent le sort de gigantesques territoires nourriciers dans les mains de quelques firmes dictatoriales qui monopolisent semences et traitement chimiques associés –  car les plantes de labo sont désormais les « produits dérivés » des produits agrochimiques vedettes (comme le désherbant Roundup) : elles ont été créées pour leur convenir.], grands inspirateurs des agronomes, lorsqu'il s'en trouvait encore, depuis le siècle de Darwin. C'est encore une fois l'argent qui a sélectionné ces recherches qui ont sélectionné ces plantes qui exigent d'elles-mêmes qu'on leur paye leur traitement phytosanitaire favori.

Notre opposition aux OGM ne porte pas sur leur procédé de fabrication (interprété comme une ingérence dans le sanctuaire du génome) mais sur le renforcement du caractère marchand des productions humaines qu'ils génèrent. Cette innovation poursuit la mise en dépendance des cultures, des agriculteurs et des hommes aux trusts de l'agroalimentaire et c'est plutôt la modification de la Terre entière, dans le sens d'une prolétarisation de sa biodiversité comme de toute autre valeur authentique produite par la nature et les hommes, qui devrait retenir l'attention.

Les avis sur les OGM semblent diverger fortement, pourtant ils partagent nombre de présupposés. D'un côté, les vertueux défenseurs du progrès ne s'interrogent que sur les bornes à placer à la formidable puissance du savoir humain (créateur de brebis doubles, maïs insecticide et monstres à admirer dans le cirque médiatique). D'autre part, les vertueux défenseurs de la nature humaine crient au viol ! Pour eux, le naturel s'enfuit au galop devant « l'artificialisation » de la vie, et l'industrialisation met le génome en bouteille. Monsieur Technolâtre et Saint Technoclaste se retrouvent, ne leur déplaise, partager un même point de vue mécaniste de la société : l'avenir est suspendu à un réarrangement biotechnologique ou écologique de la production (suivant qu'il s'agisse de « reprogrammation » cybernétiques ou de traditions à « réinvestir »). En tout ça le gène a obtenu sa consécration et assoit son empire sur la crédulité contemporaine.

Mais la science n'est pas cette puissance prométhéenne comme le spectacle le proclame. Elle sait parfois se l'avouer et on peut entendre des chercheurs renommés marquer clairement les limites qu'elle rencontre, comme François Jacob par exemple, s'exprimant à la radio cet été avec Pierre Sonigo[8François Jacob a pourtant signé, en novembre 2001, une déclaration de l'Académie des sciences qui déplore le ralentissement de la croissance des productions agricoles mondiales et indique comme réponse souhaitable « l'utilisation judicieuse de plantes transformées par l'insertion d'un gène conférant à ces dernières un trait particulier »… Les chercheurs souvent nous égarent. Certes, les choses de notre temps progressent par leur côté étatique et marchand et l'invention de biens véritables peut survenir dans le cours de l'aliénation. Mais l'évaluation entière et le déploiement complet du bénéfice que les hommes pourront en tirer ne pourra apparaître que lorsqu'ils auront libéré toutes les forces de la société, forces productives et politiques. Tout progrès sera donc jusque-là souvent ambigu et toujours réversible. Cependant, nous connaissons aussi l'État, ce monstre délicat. Jusqu'où peut-on soutenir en son sein ce qui libère et nécessairement libère de lui ? Jusqu'où osera-t-on, sous sa tutelle, pousser les expériences qui, dans leur esprit, le contredisent ?]. Et le pouvoir du gène est douteux. Il faut en conclure que le vrai problème de la vie n'est pas tombé dans les éprouvettes, qu'il se pose à une plus grande échelle et aussi ailleurs.

Salutations,

Pour La Guerre de la liberté : Colo BOURDEL

[1]Nous n'avons pas été surpris d'apprendre que ce fut pour vous un plaisir d'écrire ces travaux (en dehors du cadre officiel des communications scientifiques, en français, etc.)

[2]Hélas, on a les modes de production qu'on mérite : pour juger de ce qu'il faut laisser en place, dériver ou renverser, développer ou diminuer, il faut d'abord inventer une société qui en décide. Les directions à donner à la société doivent lui revenir et pas seulement des « choix scientifiques » soumis de loin en loin au débat étique de quelques experts devant un parterre de spectateurs (pauvres gens offerts en pâture à de grossières manipulations en pleine société, parfois intitulées : « essais de démocratie participative »). Le point de départ de la démocratisation c'est la liberté pratique : la possibilité ouverte pour chaque individu de réaliser complètement l'expérience d'une existence sociale et politique. Sans cette condition, il ne peut exister de citoyens, sinon en carton.

[3]C'est donc le point de vue de l'histoire que nous privilégions. C'est aussi la science que nous trouvons la plus disposée à sortir de sa discipline pour se rendre accessible à ceux qui veulent en faire usage et qui, finalement, se saisiront de leur temps et feront l'histoire qu'ils connaîtront.

[4]Démonstration faite de la nature religieuse (ou prédarwinienne) de cette pensée, on discerne mieux tout l'attirail sacré dont on avait déjà senti la mauvaise odeur : la hiérarchie impeccable de la transmission des ordres génétiques, l'allure hiéroglyphique de la Parole de l'ADN, la genèse toute biblique de la vie bien que « tout ne soit pas écrit »…

[5]Ainsi, dans un bref article intitulé : « Pour des chercheurs citoyens » (revue Pour la science, décembre 2004) Isabelle Sommier et Georges Debrégeas relatant les « États généraux de la recherche », suggèrent « d'ancrer plus profondément la science dans la société ». Mais c'est plutôt l'inverse qu'il faut comprendre, car ils précisent : « Une telle fertilisation croisée entre recherche et société exige une élévation de la culture scientifique de notre pays. Il ne s'agit pas uniquement de diffuser davantage les résultats de la science, mais aussi de former à la méthode scientifique, fondée sur le doute et la démarche critique. » Nous sommes d'avis qu'il faut rechercher le contraire, c'est-à-dire ramener la critique dans la science. La science véritablement « ancrée dans la société » (qui constitue son vivifiant milieu naturel) pourrait alors prendre part aux constructions sociales qu'il est urgent d'entreprendre. En effet, la culture scientifique revivifiée aurait vraisemblablement beaucoup à apporter à l'élaboration des points de vue unitaires sur le monde comme à la réinvention du rapport interindividuel direct. Les scientifiques, plus ou moins consciemment, ont tendance à considérer, qu'ils forment un modèle pour la société (comme les philosophes chez Platon), une belle et grande communauté « fraternelle » au dessus du commun où chacun vise librement des objectifs rationnels. Mais il est facile de voir que cet idéal ne se réalise que dans la forme extrêmement séparée et malheureuse de la communauté scientifique internationale. Et pourtant, collaborer à l'auto-institution d'un rapport social réellement humain constitue un but exaltant qui rivalise aisément avec les plus belles perspectives scientifiques. C'est, en tous cas, l'endroit le plus approprié où faire l'exercice de ses capacités rationnelles et créatives les meilleures. S'engager immédiatement dans cette voie revient à prendre nos deux chercheurs citoyens au pied de la lettre, car c'est la meilleure façon « d'articuler la science dans la société pour qu'elle ne figure plus sur un piédestal la faisant apparaître comme la source d'un progrès continu et indiscutable ou, à l'inverse, comme celle de tous les maux. »

[6]Ces soi-disant variétés sont des génotypes identiques, ces prétendus hybrides sont en fait des clones destructeurs de la biodiversité, en quoi réside l'intérêt de les cultiver. (Jean-Pierre Berlan, Richard Lewontin : OGM ou CGB ? « Le Monde », 18 juin 2004)

[7]Que les marchands extorquent l'invention et l'intelligence collective qui a produit des plantes meilleures n'étonne pas : c'est leur boulot. Mais ces pauvres plantes, soumises à l'implacable logique de la valeur d'échange, nous montrent les progrès de la marchandise. Car aujourd'hui, les organismes génétiquement marqués au fer du marchand (faut-il saluer la prouesse de ce tatouage en filaments d'ADN ?), ces OG™ donc, accroissent l'assujettissement des hommes et de leurs environnements. Les dits OGM les saturent de pesticides, leur font payer ce qu'on n'avait jusque là jamais cru devoir payer et remettent le sort de gigantesques territoires nourriciers dans les mains de quelques firmes dictatoriales qui monopolisent semences et traitement chimiques associés –  car les plantes de labo sont désormais les « produits dérivés » des produits agrochimiques vedettes (comme le désherbant Roundup) : elles ont été créées pour leur convenir.

[8]François Jacob a pourtant signé, en novembre 2001, une déclaration de l'Académie des sciences qui déplore le ralentissement de la croissance des productions agricoles mondiales et indique comme réponse souhaitable « l'utilisation judicieuse de plantes transformées par l'insertion d'un gène conférant à ces dernières un trait particulier »… Les chercheurs souvent nous égarent. Certes, les choses de notre temps progressent par leur côté étatique et marchand et l'invention de biens véritables peut survenir dans le cours de l'aliénation. Mais l'évaluation entière et le déploiement complet du bénéfice que les hommes pourront en tirer ne pourra apparaître que lorsqu'ils auront libéré toutes les forces de la société, forces productives et politiques. Tout progrès sera donc jusque-là souvent ambigu et toujours réversible. Cependant, nous connaissons aussi l'État, ce monstre délicat. Jusqu'où peut-on soutenir en son sein ce qui libère et nécessairement libère de lui ? Jusqu'où osera-t-on, sous sa tutelle, pousser les expériences qui, dans leur esprit, le contredisent ?